"Papin !" balbutiai-je dans ma grenouillère. C'est toujours ainsi que mes mères commencent cette histoire. Moi, j'étais un bébé, trop jeune pour m'en souvenir. J'étais d’après-elles dans mon parc, mes jouets m'entouraient et me rassuraient. Je fixais émerveillé Loïs. Chaque geste de sa part était magique - ou presque - pour moi. Je n'arrêtais pas de lui sourire comme le bébé communicatif et enjoué que j'étais. Mon doigt toujours pointé vers mon doudou qui était tombé en dehors de mon parc. Pour Loïs je devais l'y avoir jeté. Je n’ai jamais dit que j'étais parfait. J'étais un bébé qui aimait lancer des choses et éclater de rire. Cependant, là, je voulais mon lapin, c'était Matthew qui me l'avait offert. Il ne m'avait jamais quitté. J'avais abandonné des litres de bave sur ses oreilles que j'avais mâchouillées. Valery a souvent voulu jeter cette horreur, mais heureusement Loïs l'a toujours empêché. Il sentait mauvais. Il était sale, mais c'était Pan-Pan mon lapin. Je m'en souviens encore c'est pour dire. Il est au grenier maintenant. Je suis un grand garçon. J'ai plus besoin d'un doudou, même si quand je suis très malade Loïs me le descend en cachette. C'est notre secret, mais je crois que je me perds dans mon histoire. Donc, j'étais à cet âge où je n'arrivais pas encore à me tenir debout. C'est à ce moment que Valery est rentrée tard du travail. Elles m'affirment qu'il y a eu des reproches et des cries. « C'est à cette heure que tu rentres, Valery ? » "Ne commence pas, Loïs. Je suis épuisée, s'il-te-plaît." Moi, je montrais toujours avec insistance mon doudou. Je tenais déjà le tempérament têtu qu'on me connaît bien. "Pa...Pin !" Et, d'après Valery c'est à ce moment que je me suis levé et que je me suis mis à marcher pour la première fois. Ce petit miracle à arrêter les cries et les reproches. Elles m'ont soulevé du sol et m'ont embrassé. J'étais leurs petits miracles et j'ai toujours le sentiment de l'être à chaque battement de cœur et chaque respiration. Je n'ai jamais manqué d'amour et pour cela je les aimerais jusqu'à la fin de ma vie.

"Oui, j'ai deux mamans. Cela te pose un problème ?" ai-je signé le visage fermé et les doigts crispés face à cet homme qui nous dévisageait dans le parc. Avec le recul, je me dis que je devais paraître bien menaçant surtout pour quelqu'un qui ne connaît pas la langue des signes. Mais, je n'arrivais pas à m'amuser. Je ne pouvais m'amuser. Il faisait pourtant beau. Peut-être le plus beau dimanche de ce dernier jour d'été. Valery ne travaillait pas. Nous avions passé la moitié de l'après-midi dans le parc. Nous avions pique-niqué. Les sandwichs de Valery étaient toujours les meilleurs de la terre entière. Nous avions flâné et mangé des glaces. Surtout moi, pour tout dire, j'en avais plus autour de la bouche que dans l'estomac. C'était un jour radieux et il était hors de question de subir ces regards. Je ne comprenais pas encore pourquoi, même si mes mamans m'avaient expliqué. J'avais un papa - que je ne connaissais pas - et deux mamans. Il était où le problème ? Car, je savais reconnaître la haine ou la malveillance malgré mes quatre-ans. Pensait-il que j'étais maltraité ? Que je grandirais mal ? Je voulais continuer à faire des signes à cet homme, mais la main de Valery m'arrêta. "Lysandre. Non !" me signa-t-elle en retour. Je me tournais vers Loïs. Je savais qu'elle pensait comme moi. "Pourquoi, non ? Nous avons autant le droit d'être là qu'eux." Signai-je avec colère. Je prenais la main de Loïs et je la plaçais dans celle de Valery. Je savais qu'elles voulaient me protéger. Cependant, elles ne faisaient rien de mal. Elles étaient ensemble. Elles avaient le droit de se tenir par la main. Je vis l'homme lever les yeux au ciel et marmonner dans sa barbe. Lourde erreur de sa part, je savais très bien lire sur les lèvres. "De mieux en mieux. Des lesbiennes, mais où va le monde. Pauvre gosse !" Et, encore je reformule car c'était bien plus corsé que cela comme langage, avec des mots que Valery m'interdit de dire sauf si je veux être puni une semaine : sans télé et brocolis à tout les repas. Je me suis alors lancé vers lui. Personne n'aurait pu m'arrêter. J'ai couru et je lui ai jeté ma glace au visage. Loïs m'a rattrapé, c'est excusé et me serrant dans ses bras, elle me signa discrètement avec un large sourire rempli de fierté. "Ça, c'est mon garçon à moi." Elle m’ébouriffa les cheveux et nous nous sommes éloignées avec Valery. Bien sûr, j'ai été puni par la suite et c'était normal. On n’agresse pas les gens comme ça. Il fallait me mettre des limites, que je ne devienne pas un enfant agressif. Maintenant, je prends les choses avec ironie. Je m’amuse de la bêtise des gens, sans violence. Pour moi, mes mères s'aiment et c'est le plus important. Nous sommes une famille, une vraie et personne ne pourra nous enlever cela.