I FELT APART, COME BACK UP AGAIN.
911. Jeune femme d’environ vingt ans. Coups et blessures multiples. Trouvée inconsciente sur un sentier égaré. Constantes stables. Identité inconnue. Pupille droite dilatée. Blessure à la tête. Fracture du bras gauche, jambe gauche, jambe droite, bassin désaxée. Abdomen distendu, possible hémorragie interne. Arrivée l’hôpital dans dix minutes._______________________________________
Le bip de l’électrocardiogramme dansait dans ses oreilles comme une musique sans fin. Elle avait envie de dormir mais le bruit l’en empêchait. Elle ne se sentait jamais en sécurité pour dormir quand il y avait du bruit autour d’elle. Néanmoins, la partie cynique d’elle, pas encore endormie par la morphine, pensa amèrement qu’on ne pouvait rien lui faire de pire que ce qu’elle avait déjà subi. Les bras et les jambes dans des tonnes de plâtre qui pesaient sur son corps maigre, le bassin immobilisé, le ventre enroulé dans des pansements qui protègent son incision de vingt centimètre, le crâne rasé à un endroit où on lui a trifouillé le cerveau. Et tout ça pour la guérir d’un traumatisme encore plus grave, d’une douleur ancrée dans sa peau qui ne la quittera certainement jamais. Malgré sa peur irrationnelle du bruit, la morphine faisait de plus en plus effet et Emmy commença à se sentir plonger dans un sommeil profond. Juste au moment où ses yeux se fermaient, la porte de sa chambre s’ouvrit et elle sursauta brutalement. La douleur irradia tous ses membres, les uns après les autres. Les larmes remplirent ses yeux et elle se mordit la lèvre pour ne pas gémir de douleur. Un vieux réflexe qui lui avait souvent valu des coups. Elle regarda qui venait d’entrer. Une femme grande, élancée, bien habillée mais surtout qu’elle ne connaissait pas. Ce n’était pas un docteur, pas quelqu’un de l’hôpital. Son cœur s’accéléra, la peur se propageant dans son sang et le bruit de l’appareil devint plus fort. La femme s’en rendit compte et se stoppa immédiatement, comme pour apaiser une bête sauvage.
« Emmy, calme-toi, je ne te veux pas de mal. Je m’appelle Virginia. Virginia Davis. Je suis psychiatre. Je suis là pour toi. Je suis là pour t’aider. Je ne te veux aucun mal. » Doucement, la femme s’approcha du lit et Emmy tenta de réprimer la peur qui lui noua les entrailles. Une psy. Ce n’était qu’une psy. Elle se força à se calmer jusqu’à ce que son cerveau chasse les dernières brumes de la morphine. La douleur était vive. Mais autant que la colère. Ca ne faisait même pas une semaine qu’on l’avait sorti de là que déjà on amenait la psy pour évaluer les dégâts sur la pauvre petite Emmy retrouvée dans années après. Plusieurs fois elle s’était demandée quand cela arriverait. Les docteurs étaient si inquiets et concernés que si elle n’avait pas eu si mal à la gorge à cause du tube qu’on lui glissait dans la bouche pendant les opérations, elle aurait hurlé. La femme – Virginia – avait fini par s’asseoir à son chevet, l’air empathique, ouverte. Une psy quoi.
« L’hôpital pense que tu es maintenant plus en forme pour parler et recevoir des visites. Tes parents vont pouvoir venir te voir plus souvent. » Elle ne bougea pas d’un poil après ça. Emmy mit du temps à formuler les mots qui dansaient dans sa tête. Beaucoup de temps, certainement plus de vingt minutes. D’une voix rauque et sèche, elle ordonna à la psy :
« Allez-vous en. »_______________________________________
La psy – qui tient à être appelée – Virginia venait tous les jours. Elle s’asseyait à côté d’Emmy et attendait qu’elle parle. La seule chose qui sortait de sa bouche était toujours les mêmes mots.
Allez-vous en. Mais Virginia ne partait jamais. Elle restait là à lire ou à écrire sur un bloc-notes, écrivant elle ne savait quoi avant de finalement rendre les armes quelques heures plus tard. En une semaine, Emmy s’était habituée à sa présence. C’était rassurant d’avoir quelqu’un à son chevet, qui lui donnait le temps qu’elle voulait. Bien sûr, Emmy n’avait pas besoin de temps, elle ne voulait pas parler. Néanmoins, un jour alors qu’elle appréhendait l’opération qu’on lui ferait demain – c’était la quatorzième depuis qu’elle était arrivée et parfois Emmy souhaitait ne pas survivre pour ne plus supporter tout le traumatisme que son corps subissait – Virginia ne vint pas. Emmy ne s’attendait pas à en être autant contrariée. En colère. Ce fut dans cet état qu’elle fut amenée au bloc. Pour tenter de la rabibocher. Quand elle s’éveilla de l’anesthésie des heures plus tard, groggy et endolori, quelqu’un lui tenait la main. Elle pencha la tête sur le côté et essaya d’ouvrir les yeux – tout de suite agressés par trop de lumière. Il lui fallut plusieurs minutes pour s’ajuster.
« Vous… » « Attends. » Sa gorge était sèche comme du papier de verre. Elle fut reconnaissante quand on lui tendit une paille. L’eau apaisa la brûlure et après quelques essais, elle réussit à faire une phrase complète.
« Vous n’êtes pas venue hier. » « Non. Un patient particulièrement difficile m’a retenue. » « Plus difficile que moi ? » « Tu n’es pas difficile Emmy. Tu ne parles pas c’est tout. » « Parce qu’il n’y a rien à dire. » « D’accord. Mais si finalement tu trouves quelque chose à dire. Je serai là. »_______________________________________
Et puis finalement deux trois jours plus tard, Emmy se surprit à avoir quelque chose à dire. Quand Virginia entra dans sa chambre, elle avait trouvé le courage d’allumer la télé. On lui avait dit qu’elle avait le droit mais toujours la peur de se faire punir, de recevoir des coups. Elle ne se tourna même pas vers la psy, trop absorbé à regarder le film. Il y eut quelques minutes de silence avant que Virginia prenne la parole.
« C’est un bon film. Grace Kelly a beaucoup de charme. » Emmy se tourna vers elle, délaissant l’histoire. Parce qu’elle n’écoutait pas vraiment. Elle était trop occupée à se rappeler.
« Je l’ai déjà vu. Deux fois. Il aimait bien Grace Kelly. Quand j’étais sage, que je faisais ce qu’il voulait, il me permettait de monter avec lui. On… Il me demandait ce que je voulais manger et après on se mettait sur le canapé et je regardais un film avec lui. Dans ces moments là, tout était… normal et bien. Il était gentil. Drôle parfois. C’était bien. » Emmy avait gardé les yeux baissés, gênée de ce qu’elle disait, effrayée qu’on la traite de monstre. Mais Virginia se contenta de prendre sa main.
« Il te manque ? » La question la surprit et la fit haleter. Elle ne s’y était pas attendue. Elle releva la tête. Tout ce qu’elle voyait c’était de la gentillesse, de la compréhension, de l’empathie. De l’amour peut-être. Ou au moins de l’affection. Il y a quelques semaines cela l’aurait énervée mais là… Elle sentit les larmes couler sur ses joues sans pouvoir les retenir. C’était la première fois qu’elle pleurait depuis qu’on l’avait trouvée.
« Un peu… C’est… Ca avait fini par devenir normal pour moi. C’était ma vie. Je… J’étais… Je n’étais pas vraiment malheureuse. Je… m’étais habituée je suppose. Et il était… gentil parfois. Est-ce que ça fait de moi un monstre s’il me manque ? » « Non c’est parfaitement normal. Tu es parfaitement normale Emmy, d’accord ? » « D’accord. »_______________________________________
Encore quelques jours passèrent et chaque médecin était encourageant sur sa guérison. Emmy pensait qu’elle n’aurait plus à retourner au bloc et ça lui enlevait un poids énorme de la poitrine. Même si elle savait que chaque pas vers la guérison était un pas vers ses parents. Depuis bientôt deux semaines, elle refusait de les voir. Elle ne voulait pas voir la pitié, la tristesse dans leurs yeux, leurs tentatives de retrouver leur petite fille perdue, elle ne l’était plus depuis longtemps. Au fond, elle avait peur de les dégoûter, de les décevoir. Virginia le savait, elle lui avait plus ou moins dit à demi-mots. Elle avait tenté d’amener le sujet mais Emmy s’était aussitôt refermée, alors elle avait amené un sujet plus neutre. Elle lui parlait de tout ce qui était différent maintenant, de tout ce qu’on pouvait faire avec un portable, un ordinateur. Dans ces moments-là, on voyait l’espoir danser dans les yeux d’Emmy. Elle s’imaginait avec une vie à elle, qu’elle aurait choisie. Elle pourrait être ce qu’elle voulait, faire ce qu’elle voulait, un monde de possibilité s’offrait à elle et elle avait envie de toutes les essayer. Malheureusement, ses espoirs furent anéantis, écrasés, dès que la porte de sa chambre s’ouvrit. Le docteur Perkins, un homme de quarante ans, beau mais qui l’effrayait plus qu’autre chose, venait d’entrer, un sourire sur le visage mais ce dernier était plus crispé qu’autre chose. Emmy sut ce que cela voulait dire. Chirurgie. Sa main se referma sur celle de Virginia.
« Bonjour Emmy, comment tu vas aujourd’hui ? » « Je… Ca ira si vous ne venez pas pour me dire qu’on doit m’opérer encore une fois. » Le sourire de Perkins disparut et Emmy ferma les yeux, tournant la tête.
« C’est la dernière Emmy je te le promets. Mais ton bassin ne se remet pas comme je l’espérais, il va falloir que j’opère pour mettre des vis qui t’aideront à récupérer. La blessure est beaucoup plus vieille que je croyais. Tu te rappelles comment cela t’ait arrivée ? » Elle hocha la tête, les larmes manquant de couler mais elle se retint et tourna le visage vers lui et le fusilla du regard avant de cracher :
« En mettant le bébé au monde. » Elle eut la satisfaction de voir l’homme blanchir et il bégaya quelques mots avant de partir précipitamment. La nausée était toujours présente.
« Ca t’a fait du bien ? » « De le regarder se sentir gêné et partir en courant pour ne pas montrer combien il a pitié de la pauvre Emmy Fields ? Non pas vraiment. » Sa voix était sèche et ses joues humides des larmes qu’elle n’arrivait pas à retenir.
« Il te manque toujours ? » Elle tourna la tête vers Virginia tellement vite qu’elle sentit ses vertèbres craquer.
« Je ne sais pas. » La colère la submergea.
« Vous aussi vous avez pitié de moi ? De la pauvre Emmy qu’on a enlevée quand elle avait six ans ? Qu’on a retrouvée des années plus tard après avoir subi… » Viol sur viol. C’était ce qu’elle voulait dire. Mais le mot sonnait trop cru, trop loin de la vérité. Ce qu’elle avait subi… ce qu’il lui avait parfois… c’était au-delà du prononçable, de l’imaginable. Ca avait été des années de tortures, de larmes, de cris, de profanation, de dégoût de soi-même. Mais elle n’avait jamais connu rien d’autre. Alors les moments où elle réconfortait, lui disait qu’elle était une brave fille, où il lui cuisinait ce qu’elle voulait, où il la laissait regarder la télé. Ces moments-là avaient eu des goûts de paradis par rapport à tout ce qu’il lui avait fait subir à côté.
« Des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. Qui a eu un bébé. Pauvre Emmy, elle n’a jamais su si c’était un garçon ou une fille. Et vous savoir le mieux ? Ce qui me rend encore plus pathétique ? Je me suis enfuie seulement parce qu’il voulait me remplacer. A 19 ans, j’étais trop dégoûtante pour lui. C’est ce qu’il m’a dit. Alors je suis partie. Parce qu’il ne prenait même plus la peine de m’attacher dans le sous-sol, comme si je ne valais même plus la peine de craindre que je disparaisse. » Elle cria la dernière phrase avant de s’effondrer en sanglots, pleurant à ne plus pouvoir en respirer. Elle sentit deux bras chauds se refermer autour d’elle et elle se laissa aller dans l’étreinte de Virginia. Elle ne pensait pas ce qu’elle avait dit. Elle savait que Virginia ne la jugerait jamais. Au fond, c’était elle qui avait pitié d’elle-même.
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L’opération ne fut pas aussi pire qu’elle l’imaginait. Elle s’en remit rapidement. Avoir tout dit à Virginia lui avait fait du bien. Maintenant, elle se confiait plus simplement. On avait commencé à la faire marcher, à la promener dans l’hôpital. On l’avait même laissée manger dans la cafétéria. Ca avait été difficile au début. Elle sentait les regards sur elle, elle avait peur qu’on la juge, elle avait peur de demander, de se faire frapper. Et puis finalement elle avait réussi à se servir. Elle n’avait pris que des sucreries mais personne ne l’avait jugée. Elle savait que ce n’était pas un vrai repas. Mais elle en mourait d’envie. Et d’un coup, elle réalisa qu’elle avait fait quelque chose pour elle.
Pour elle. Un autre pas vers la guérison. Elle recommençait à vivre. A être heureuse. Quand Emmy entra dans la cafétéria ce jour, ce fut avec plus d’assurance. Elle allait se diriger vers les plateaux quand deux silhouettes se dressèrent devant elle. Deux silhouettes qu’elle connaissait. Et qu’elle ne voulait pas voir.
« Qu’est-ce que vous faites là ? » « On voulait te voir Emmy, tu nous manques chérie. » Ses parents la regardaient avec cet air d’attente. Ils attendaient qu’elle agisse comme leur fille disparue retrouvée, pas traumatisée, juste la petite Emmy qui trainait son lapin partout. Elle était sûre qu’ils attendaient le bon moment pour lui donner et lui dire tu te rappelles ? Bien sûr qu’elle se rappelait. Elle se rappelait avant mais après aussi. Elle se sentit sale de nouveau.
« Allez-vous en, je ne veux pas vous voir. » Les regards pesaient sur elle et elle commença à trembler. La panique s’empara d’elle. Elle fit un pas pour se décaler mais la main de sa mère la retint.
« Ne me touche pas. » Elle se dégagea brutalement et sentit une douleur dans son abdomen. Elle baissa les yeux. Du sang. La douleur la submergea et elle s’écroula.
« Elle convulse. Code bleu ! »_______________________________________
Il était bientôt dix-huit heures trente et Emmy avait faim. Elle se remettait doucement de sa dernière opération. Ses sutures s’étaient rouvertes et elle avait été emmenée d’urgence au bloc pour être réopérée. Elle espérait que ce serait la dernière fois. Plus que tout, elle craignait ce qui allait se passer après. Virginia n’allait pas laisser ça passer. Elle était presque sûre que c’était elle qui avait eu l’idée de la faire rencontrer ses parents à la cafétéria dans un milieu neutre et où il y avait du monde. Ca avait été visiblement une très mauvaise idée. La porte de sa chambre s’ouvrit et elle tourna la tête, s’attendant à voir une infirmière lui apporter de quoi manger. Ce n’était pas ça. C’était Virginia et avec elle, ses parents. Elle se tendit aussitôt et la rythme de la machine cardiaque s’accéléra. Virginia était près d’elle en un instant, sa main serrant la sienne.
« Calme-toi Emmy, tu vas bien. Tu es en sécurité. Si tu paniques, tu vas rouvrir tes blessures. Tu ne veux pas aller au bloc. » Elle fit un non de la tête et essaya de se calmer. Ses parents restaient dans l’entrée de la chambre, certainement effrayés qu’elle refasse un arrêt. Finalement le rythme de la machine s’apaisa. Elle planta son regard dans celui de Virginia, ignorant délibérément ses parents.
« Je ne veux pas d’eux ici. Je ne veux pas le voir. » « Chut, calme-toi. Tu es en sécurité. Et je leur ai dit. Tout ce que tu m’as dit, je leur ai raconté. » « Quoi ?! Vous n’aviez pas le droit de faire ça ! Vous devez garder le secret, lâchez-moi, je… » « Emmy ! Ecoute-moi. Tu as fait d’énormes progrès depuis que tu es arrivée ici. J’ai parlé à tes médecins, tu ne seras très bientôt plus une patiente de chirurgie. Tu vas pouvoir rentrer chez toi. Je sais que tu as peur que tes parents te jugent, qu’ils ne te comprennent pas. Mais regarde, je leur ai tout dit. Et ils sont toujours là. Ils se battent pour toi Emmy. Et tu dois les laisser faire. Peu importe qui tu es, qui tu veux être, ils seront là parce qu’ils t’aiment, peu importe ce qui arrivera. Ils t’aiment Emmy. » La brune se tut et baissa les yeux avant de tenter un coup d’œil discret vers ses parents. Ils étaient là, un peu plus vieux qu’ils n’auraient dû avoir l’air, les larmes aux yeux, un peu tassés, effrayés d’être rejetés, encore. Mais surtout, elle voyait tout l’amour qui se dégageait d’eux. La même acceptation que Virginia lui donnait. Ils l’aimaient. Peu importe quoi. Virginia se décala un peu. Sa mère s’approcha. Quand elle la toucha, Emmy ne se dégagea pas. D’un coup, elle se retrouva dans l’étreinte ferme de ses parents. Elle ne s’était jamais sentie aussi en sécurité que maintenant.
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Emmy quitta l’hôpital une semaine plus tard. Elle espérait vaguement qu’en quittant les couloirs aseptisés de l’hôpital, elle pourrait recommencer à vivre. Ou plutôt, commencer à vivre. Elle se trompait. Il fallut du temps pour se réhabituer à ses parents, pour se confier à eux. Il lui fallut du temps pour arrêter de sursauter à chaque fois qu’on la surprenait, qu’il y avait un bruit fort. Il lui fallut du temps pour sortir, pour réapprendre à sourire. Beaucoup de temps. Plus de deux ans. Durant tout ce temps, Virginia fut là à chaque pas. Elle avait rendez-vous avec elle trois fois par semaine et elle lui parlait de tout et de rien. Elle essayait d’évacuer le traumatisme. Et puis finalement un peu avant son vingt-deuxième anniversaire, Virginia lui dit qu’elle n’avait plus besoin d’elle. Qu’elle était prête à vivre sans thérapie. Au fond, Emmy le savait déjà mais… Virginia était une amie. Sa seule amie. Et elle ne voulait pas l’abandonner. En sortant de sa dernière séance chez le psy ce jour-là, elle sentit encore les regards sur elle. Deux ans qu’on l’avait retrouvée mais deux ans qu’on continuait de chuchoter dans son dos. Hillsdale était une petite ville. Un peu plus de huit milles habitants. On parlait beaucoup. Et Emmy n’avait pas réussi à se faire d’amis. Elle sut alors – ce jour-là – qu’il ne lui restait qu’une seule chose à faire pour être complètement guérie. Partir. Il lui fallut plusieurs semaines pour réunir le courage nécessaire pour le dire à ses parents. Comme d’habitude, leur réaction la surprit. Elle s’attendait à devoir négocier, à des pleurs, à devoir les réconforter. Elle ne reçut que de l’acceptation, de l’amour. Quand son père lui demanda où elle voulait partir, elle n’en avait aucune idée. Où partir ? Elle ne voulait pas aller dans un grand état, voir le monde, elle voulait juste recommencer à zéro quelque part. Ce fut son père qui l’aida à choisir. Il sortit une carte des Etats-Unis et lui donna une fléchette. Elle irait là où elle atterrirait. Le sort décida Southington, Connecticut.
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Cela allait bientôt faire deux mois qu’elle avait posé ses valises à Southington. Ici, personne ne savait qui était Emmy. Personne ne savait ce qu’elle avait vécu. C’était son secret qu’elle gardait bien précieusement pour éviter les regards de pitié. Deux mois qu’elle avait recommencé à vivre. Ce n’était pas facile. Il y avait toujours des cauchemars, de la maladresse dans ses rapports avec les gens mais elle faisait de son mieux. Parce que pour la première fois, elle avait l’impression qu’elle allait pouvoir être pleinement heureuse. Elle allait enfin commencer à vivre sa vie.